samedi 2 juin 2012

«Être ou ne pas être avec», ou «Le Papé» de Yolande Vercanson.



La perte d’autonomie, la maladie d’Alzheimer sont souvent en lien avec l’âge et comme notre espérance de vie s’accroît continuellement, nous y sommes confrontés de plus en plus. L’on se trouve alors immanquablement dans cette situation de choix: garder la personne atteinte le plus longtemps possible dans son lieu de vie habituel et la prendre en charge au prix d’une nécessaire, voire obligatoire disponibilité de tous les instants - c'est-à-dire accepter de changer de vie en la calquant sur celle de l’autre presqu’exclusivement - ou envisager de la confier à un établissement d’hébergement et s’en séparer physiquement, créer la rupture et au moins la mise à distance, et dans ce cas là, préserver son propre quotidien et un minimum de son équilibre de fonctionnement. De toute façon, changer de vie aussi, un tant soit peu, peu ou prou selon certains paramètres d’entente avec les autres proches, la distance, ses propres obligations professionnelles, familiales, voire de confort personnel…

Un choix impossible ?
Quel que soit le choix, il laisse des traces, des séquelles. Il n’est pas évident d’osciller entre des approches de cette problématique qui obéissent à des notions comme «Qui choisi le plus, se donne une chance plus grande de regretter le moins» et du coup garder la personne malade avec soi au prix de sacrifices personnels ou alors considérer que la fulgurance de la maladie, son caractère d’inéluctabilité, la dégénérescence quelle entraîne, justifie la séparation, la mise en établissement, en unité de soin, la nécessité de la confier à plus compétent et alors vivre avec l’idée qui s’insinue souvent de «Qui fait le moins en se rangeant du côté du rationnel plutôt que de l’affectif, risque après coup, de ressentir davantage de regrets» , alors en proie généralement, à une culpabilité souvent éprouvée et dont on a du mal à se défaire…

Un choix avec soi-même…
Il n’y a pas de préconisation particulière à émettre, sinon de mettre en présence des vécus différents, des expériences sur lesquelles l’on s’est interrogé, des approches et des ressentis particuliers, sans se permettre de porter des jugements. C’est en conscience, et seul souvent, que l’on fait ses choix, conscience que l’on ressent après coup, comme plutôt bonne ou plutôt mauvaise. D’être en paix avec soi-même, sinon avec les autres, prend des chemins parfois bien complexes, des voies bien singulières, des détours à l’aveugle, des fuites en avant. L’expression de ces sentiments là, de ces émotions, de ces interrogations, de ces vécus, de ces déceptions, colères, indignations, révoltes, lassitudes, désespoirs, en groupe de parole spontané, ouvert, en confiance, chaleureux et contenant (avec des garde-fous, des soupapes de sécurité, des exutoires aux trop pleins, des compensation aux trop-vides …), comprenant (prenant avec), bienveillant (veillant bien), peut apporter apaisement, soulagement, matière à espérer, à ne pas se sentir seul, à être accompagné, à voir son horizon se dégager un tant soit peu…

À ce titre, cet écrit de Yolande Vercason, d’un vendredi 10 décembre 2010 à 23h40, quand la nuit vous enveloppe, vous environne, vous protège comme un cocon, vous apaise si vous avez la bonne fortune d’être en bonne compagnie avec vous-même et vos fantômes et se montre susceptible d’éclairer vos lendemains… Cet écrit qui nous a été suggéré et qu’elle avait intitulé «Le Papé».

Il se tenait assis tout au bout de la table
Et nous impatientait souvent par sa lenteur.
On le voyait si vieux, si courbé, pitoyable,
Que l’amour peut à peu cédait à la rancœur.
Je le suivais partout ! c’était là, dans ma tête !
Il me suivait des yeux lorsque je travaillais,
Proposait de m’aider, maladroit, l’air tout bête !
Il gênait nos projets, notre vie, le papé !
Au bout de quelques temps, prétextant les vacances,
Je le menais plus haut, au flanc du Luberon
« Tu seras bien là-bas. Tu verras la Durance
Du haut de la terrasse de la grande maison.
Ces maisons-là, papé, sont faites pour les vieux.
Regarde comme ils semblent bien, ils ont l’air très heureux ! »
« Comme tu veux, petite, si c’est pour ton bien-être.
Monte de temps en temps, le dimanche peut être ? »
Je l’ai laissé tout seul, vivement, pas très fière.
L’air était encore chaud, pourtant je frissonnais,
Et le chant des oiseaux voletant sur le lierre
Me disait doucement : « Qu’as-tu fait du papé ? »
Les jours se succédaient, je cherchais la quiétude
Le travail me prenait, j’essayais d’oublier,
De noyer mes regrets au fil des habitudes,
Les souvenirs d’antan rappelaient le papé.
Même dans le mistral qui rasait la garrigue
Pour venir s’écraser au butoir de la digue
J’entendais cette voix qui ne cessait jamais
De dire à mon oreille : « qu’as-tu fait du papé ? »
Chaque brin de lavande, de thym, de romarin,
Me reprochait sans fin l’absence de l’aïeul.
Le murmure des sources dans le petit matin
Chantait sur mon cœur lourd des cantiques de deuil.
Le remord lentement s’installait dans ma vie.
Je revenais m’asseoir ou il s’était assis,
Sur le banc de vieux bois, près du puits, sous le chêne,
Et je laissais errer mes pensées sur la plaine.
Alors, je l’ai revu, avant, lorsqu’il marchait
Jusqu ‘au seuil de l’école, pour venir me chercher.
Je sautais dans ses bras, je l’embrassais, tout doux,
Et nichais tendrement ma tête sur son cou.
Il me portait un peu, puis, ma main dans sa main,
Il ajustait son pas pour bien suivre le mien.
Il m’expliquait les bois, les cabris, les moutons,
Les abeilles dorées et les beaux papillons.
Il cueillait aux buissons des réserves de mûres
Et m’offrait les plus grosses comme un présent de choix.
Il riait bruyamment en voyant ma figure
Barbouillée des reliefs de ce festin de roi.
Le soir près de mon lit, il venait me bercer
De chansons provençales, d’histoires de bergers.
Je m’endormais heureuse de sa chaude présence,
Pleine de rêverie, d’amour, de confiance.
Au long des souvenirs, mon cœur plein de pitié
A trouvé le repos. J’ai repris le sentier
Pour revenir tout droit à la grande maison.
Retrouver le papé, lui demander pardon.
J’ai pris tout simplement sa main, sans rien lui dire.
Une larme brillait au milieu du sourire.
Et c’est moi, cette fois, tout au long du chemin
Qui ajustais mon pas, pour bien suivre le sien.
Un papé c’est précieux, c’est tant de souvenirs !
Si vous en avez un, jusqu’au bout de vos jours,
Gardez-le près de vous. Quand il devra mourir,
Vous fermerez ses yeux dans un geste d’amour.
Aujourd’hui, par hasard, si le chant des cigales
Me pose la question tant de fois redoutée,
Je peux, le cœur tranquille, en digne Provençale
Répondre fièrement : « il est là, le papé »

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